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Retour au bled

 

Pour le magazine VSD, juillet 2012

 

Les rues des Mureaux se vident de ses habitants. A l’orée des grandes chaleurs estivales, comme chaque année, beaucoup ont délaissé leur quartier pour rejoindre leur « bled Â». Un terme générique recouvrant des horizons divers, des itinéraires personnels multiples mais qui trouve un écho commun dans beaucoup de familles du quartier. Une institution en somme. Un lien fort qui relie ces français aux terres de leurs ancêtres. A la case départ des aventures familiales. Sabri Labidi a 37 ans. Le corps rondelet et charpenteux, l’œil clair et la voix douce. Il a rejoint avec toute sa famille Teboulbou, dans le sud de la Tunisie. La ville que son père Sassi a quitté à l’âge de 16 ans pour la France et qu’il pensait alors retrouver au bout de « quelques mois. Â»  Travailleur social dans son quartier de la Vigne Blanche, Sabri a délaissé ses ultimes dossiers et réglé les derniers détails des voyages associatifs d’enfants du quartier. Cette année, ces vacances s’annoncent pourtant plus intenses qu’à l’accoutumée. La Révolution a d’abord marqué les esprits. Ensuite, cet été, Souro, l’une de ses sÅ“urs, se marie dans la maison familiale. Toute la famille, les amis, les voisins ont rendez-vous pour 3 jours de fêtes.

 

Leurs parents, Sassi et Manoubia, étaient particulièrement attachés à ce que le mariage se tienne aux côtés des plus proches et selon la tradition. Et de préférence que le marié soit du « bled Â» autrement dit un tunisien de la ville. Si Souro a exaucé leur vÅ“u, c’est d’abord parce qu’elle a rencontré Omar lors de ses vacances. Elle aurait toutefois préféré quelque chose de plus simple. « A la mairie des Mureaux. C’est pour faire plaisir à mes parents que je fais tout cela ici. Les traditions, c’est un peu lourd. Si on ne fait pas exactement comme il faut, tout de suite les gens vont parler. Â» Le décalage culturel est parfois complexe aux dires de cette première génération de français. Imed, le frère cadet de Sabri, doux géant au crane rasé et responsable d’un service de sécurité dans une boite de nuit parisienne, constate entre deux bouffées de chicha les différences avec les habitants de Teboulbou. « Cela fait 4 ans que je ne suis pas venu. Je reviens uniquement pour le mariage. Ici ils te testent sans arrêt. Avec des français de souche, les tunisiens seront toujours accueillants mais avec nous c’est différent. On reste des émigrés qui ont réussi puisqu’ils vivent en France, et, dans la vie quotidienne, des français avec qui, ils pratiquent le tarif français. »

 

« Tunisiens en France et français en Tunisie Â» constatent-ils. Sabri nouvellement marié, également avec une tunisienne, explique qu’il est parfois difficile d’assumer cette double culture. Â« Il y a des choses qui se font dans l’une qui ne se font pas dans l’autre. Parfois, tu es un peu perdu. Tu as l’impression de ne pas être honnête. Avec ma femme, par exemple, je vais éviter de faire la bise à mes collègues femme. Elle sait que cela ne veut rien dire, que c’est dans notre culture, mais il y a des barrières. Â» Les incompréhensions sont multiples. Hamouda, coiffure sculptée et habits derniers cris envoyés par son frère en France, a 17 ans et habite Teboulbou. « Certains français qui viennent au bled se la racontent. Ils viennent avec leur argent ou au volent de leur grosse voiture. Â» Hakim, un des nombreux cousins de Sabri, habite à Compiègne. Il est conscient de cette situation. «  C’est vrai que parfois certains français abusent. Jusqu’à l’année dernière, quelques-uns descendaient leurs quads, leurs motos, leurs grosses voitures. Les gens du bled en avaient marre. Cela faisait du bruit jusque tard dans la nuit. Du coup, la police a imposé un couvre-feu et pleins de véhicules auraient été saisis. Â»

 

Dans le village et les environs, les plaques d’immatriculation françaises sont nombreuses. Beaucoup de ces français de retour au bled tiennent à prolonger ce lien avec leur origine. Construisant maison, planifiant avenir tout en cultivant fièrement leur culture française. Sabri se rappelle d’ailleurs, qu’enfant, les jeunes tunisiens les appelaient les « là-bas chez nous Â», tant ils vantaient à tout vent leur pays. « On vendait des rêves même si on parlait aussi des difficultés. Cela nous permettait quelque part de prendre conscience de notre chance en France. De toute manière nos parents nous ont toujours inculqué cela. Ils nous parlaient en français et j’ai finalement appris l’arabe en écoutant mes parents parler entre eux et puis ensuite avec les cousins qu’on retrouvait au bled. Â»

 

La ville résonne des puissantes sonos des mariages environnants. La saison est aux unions. Chez les Labidi on est déjà prêt.  La maison est rapidement bondée. Une tente est montée, les tables dressées. Conformément aux traditions, la première journée est consacrée au henné. Au préalable, les femmes de la famille ont amené aux sons des chants, des danses et des yoyo la mariée, recouverte d’un traditionnel et fin voile blanc pour la cacher du soleil mais aussi du regard extérieur, au hammam. Dans la soirée et dans un décorum soigné elle se voit revêtir de parcelles de henné sur les mains et les pieds. Le lendemain, les préparatifs battent leur plein. Sabri est allé chercher avec son père deux moutons. Egorgés selon les préceptes de l’Islam dans l’arrière cour de la maison, ils sont servis dans la soirée aux invités. Le père grommèle. « Trop gras Â». Puis tous les invités de la mariée se rendent dans une salle louée par la famille. Là, sous les palmiers et de puissants projecteurs, la mariée s’avance. Un long tapis rouge auréolé de lanternes la conduit jusqu’à son autel. Omar, son mari la rejoint quelques instants pour quelques pas de danses. C’est uniquement à l’occasion de la troisième et dernière soirée que les deux familles se retrouvent pour une soirée commune. L’union entre les deux familles est scellée.

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