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Clichy-sous-Bois, 10 ans après les émeutes

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Octobre 2015

Ce sont d’abord des noms aux sonorités poétiques. Balzac, Védrines ou Ronsard. En se laissant emporter par les boulevards qui en dessinent les limites, le quartier du Chêne Pointu, à Clichy-sous-Bois, frappe pourtant par la vétusté de ses larges barres d’immeubles, aux couleurs défraichies. Il demeure également dans les mémoires comme le lieu de départ des émeutes qui embrassèrent la France en octobre 2005. Point de départ dramatique, tant la mort des 2 jeunes adolescents, Zyed et Bouna, électrocutés dans un transformateur EDF en tentant d’échapper à un contrôle de police, a marqué les esprits du quartier. Dans le petit centre commercial sans lumière, enserré au milieu des immeubles, Igor, 29 ans, corps longiligne et traits saillants, s’apprête à ouvrir son magasin de vêtements. Convoquer ses souvenirs sur le déroulé de ces évènements, c’est faire ressurgir ces sentiments qu’il partagea alors avec tous ses copains. « J’avais 19 ans. Et comme tout le monde ici, c’était de la colère, un sentiment de révolte que j’ai éprouvé. » D’autant plus fort, que le quartier du Chêne Pointu fonctionne comme un village. Tout le monde connaît tout le monde. Les plus grands gardent toujours un œil sur les plus petits, les rudoyant à l’occasion au moindre manquement. Ce jour d’octobre, Igor s’en souvient donc très bien. « Je rentrais du travail. Et ma mère m’a appelé car mon petit frère de 15 ans était au commissariat. Il faisait partie des 8 jeunes avec Zyed et Bouna qui rentraient du foot. Mais il avait été arrêté et j’étais aller le chercher. C’est après l’avoir déposé chez ma mère, que j’ai appris la mort des deux petits. Je me suis alors rendu au transformateur. »

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Ce « transformateur » depuis lequel la révolte est montée. « Comment auriez-vous réagi si deux petits que vous connaissiez étaient tués » interroge Igor. Alors pendant 5 nuits, cette jeunesse de Clichy-sous-Bois a laissé déborder sa douleur. 10 ans après les faits, il est difficile de trouver parmi ces désormais jeunes adultes l’ombre d’un absent. Dhiaddine a également 30 ans. Il travaille aujourd’hui à la SNCF et se souvient de ces journées. « Tout était calme dans la journée. On se reposait. Je me rappelle qu’on croisait les flics, on se disait à ce soir. C’est aussi la première fois que j’ai discuté avec certains d’entre eux. Nous parlions de la façon de calmer les choses. Puis une fois la nuit tombée, ça commençait. »

Ces évènements ont marqué à n’en pas douter les adultes qu’ils sont devenus. Bilel, 30 ans, en convient. « Cela m’a forgé. Cela m’a appris à ne compter sur personne. Nous attendions tout des politiques et avions le sentiment de ne pas avoir les accès, d’être bloqués. » Bilel est en effet représentatif de cette génération décidée à prendre les reines de leur destinée. Ils sont ainsi nombreux à avoir développer leur propre entreprise. Si Bilel a développé sa société de production, Igor multiplie les initiatives. « J’ai créé ma première société à l’âge de 17 ans. J’avais un taxiphone puis une société de transport, un tabac, un restaurant, et aujourd’hui ce magasin de vêtements ». Igor a également créé avec plusieurs amis du quartier, l’association Missions MARS. (Médiation, Animation, Réussite Sociale) S’il s’en défend, elle s’apparente à une réponse générationnelle en faveur des jeunes et des familles du quartier. Sans subventions mais à la seule force du quartier et des cotisations de chacun, Mission Mars propose des tournois de foot, une épicerie sociale, un label pour les groupes de musique du quartier et bientôt une académie de boxe en lien avec celle de Fabrice Tiozzo. « Habiter une banlieue est un combat. Il y a eu les émeutes en 2005 et aujourd’hui, nous sommes toujours dans le même combat mais dans des bureaux » sourie-t-il.

 

Les itinéraires ne se sont toutefois pas aussi homogènes. À l’image de Kevin. Casquette arrimée et sourire facile, il se remet « en route » de son propre aveu, en travaillant dans le magasin de vêtements d’Igor. Car les lendemains d’émeutes ont en effet sonné pour lui comme une série d’aller et retour en prison. « Rien à voir avec les émeutes. Mais c’est grâce à ce travail que j’ai pu sortir » prévient-il. Puis d’ajouter. « On a fait les fous, c’est vrai. Nous sommes allés une fois jusqu’à Aulnay sous Bois où il y avait aussi des émeutes, on rentrait à pied, on se faisait courser et puis nous nous sommes calmés d’un coup ». Si Kevin se rappelle la volonté « des grands » de cesser les hostilités, Igor a en mémoire l’appel au calme adressé par le père de Bouna. Ces émeutes, certains n’en ont vu les stigmates qu’en rentrant du travail ou derrière la fenêtre de leur appartement. Djénéba, 36 ans, a 3 enfants et avoue n’avoir perçu l’intensité de ces jours qu’aux travers des discussions avec ses voisins. « Je suis femme de chambre dans un hôtel à Paris. Je partais tôt et je rentrais tard. Je discutais avec les gens du quartier pour savoir ce qu’il s’était passé. Tous les parents voulaient alors déménager. La plupart sont pourtant restés. » Quant à Fatma, 50 ans, mère également de 3 garçons, elle venait tout juste d’arriver de Turquie. Elle se rappelle s’être demandée où elle était arrivée. « Je venais seulement depuis quelques mois avec mes fils de retrouver mon mari qui habitait ici » Dans le salon de son petit appartement, Fatma avoue ne pas avoir compris très longtemps ce qu’il se passait. «  Je ne m’attendais pas à cela. Nous nous informions en regardant la télévision turque. Nous avions peur. » Ismaël, 20 ans, la taquine aussitôt. « Elle fermait les volets de notre chambre par peur des lacrymogènes. Et, avec mon frère nous les rouvrions dès qu’elle était partie pour regarder. » « Cela a été une tornade » reconnaît en définitive Igor. Mais une tornade qui ne doit pas faire oublier selon lui que son quartier en a connu d’autres. « Aujourd’hui vous pouvez vous balader, c’est tranquille, mais il y a eu pleins d’autres évènements. Lorsque j’avais 10 ans, ce quartier, c’était Ken le survivant, avec des bagarres entre gangs. »

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